vendredi 14 octobre 2016

Le plan numérique, miroir aux alouettes de l’Education nationale : les écoles qui utilisent le plus les écrans obtiennent de moins bons résultats...

Le plan numérique, miroir aux alouettes de l'Education nationale : les écoles qui utilisent le plus les écrans obtiennent de moins bons résultats...

De plus en plus d'experts et d'études s'alarment de l'introduction massive des écrans dans les processus d'apprentissage des élèves que vise le "plan école numérique" du gouvernement. Certains souhaitent même le retour à une école sans écrans, au moins jusqu'à l'âge de 15 ans.

Atlantico : Les résultats d'un récent rapport de l'OCDE (voir ici) démontre que les élèves utilisant très souvent les ordinateurs à l’école obtiennent des résultats bien inférieurs que les autres, même après contrôle de leurs caractéristiques socio-démographiques. Comment expliquer ces résultats ? Faut-il selon vous souhaiter le retour d'une école sans écrans, contrairement à ce que vise le "plan école numérique" du gouvernement ? 

Karine Mauvilly : Ce résultat de l'enquête Pisa 2012, qui a été réétudié en 2015 sous l'angle de la numérisation des systèmes scolaires, a été peu commenté et peu pris en compte par les pouvoirs publics. On découvre pourtant une corrélation négative entre la numérisation de l'école et la performance des élèves : plus les élèves travaillent sur écran, moins ils comprennent ce qui est écrit dessus.

Dans le match France/Etats-Unis, les élèves français sont mieux classés en mathématiques (et ex-æquo en compréhension de l’écrit) alors que le système scolaire français est beaucoup moins numérisé ; quant à la Corée du Sud, peu numérisée, elle est toujours classée dans le trio de tête…

Pour comprendre ce résultat, nous avons consulté de nombreuses études scientifiques, en particulier américaines. Il apparaît par exemple qu’une bonne mémorisation des connaissances est étroitement liée à la prise de notes à la main, car on reformule davantage les mots du professeur en écrivant à la main. Autre exemple : le numérique est souvent associé à une pédagogie active. Or nous confondons les mouvements qui se font sur un écran et l'activité de l'élève. Un élève actif est un élève qui produit (un écrit, un dessin, un texte à l’oral), et pour cela, il n'a pas besoin d'un support numérique. Dès les années 1920, la pédagogie Freinet mettait les élèves en activité en leur proposant de réaliser un journal de l'école ou une correspondance scolaire. La mise en activité de l'élève, aujourd’hui vivement conseillée aux enseignants, n'a nullement besoin de béquilles numériques.

Un autre point est intéressant à soulever, l’affirmation, reprise par le ministère de l’Education nationale, selon laquelle le numérique scolaire aiderait à lutter contre les inégalités. Or aujourd'hui, on constate que la fracture numérique s'est inversée : ce sont les enfants les plus défavorisés qui sont le plus équipés en objets connectés (téléphones, tablettes, télé ou ordinateur dans la chambre). C'est ce que confirme une étude de l'AFEV, qui a étudié le degré de numérisation des élèves dans les zones prioritaires. 75% des jeunes interrogés sont inscrits à un réseau social, 86% possèdent un téléphone portable, etc. Cela signifie que si l'école introduit massivement les écrans au quotidien, ces enfants déjà hyper connectés dans leur vie, vont se voir rajouter du temps d'écran, avec tous les impacts sanitaires et cognitifs que cela implique. Nous savons à présent que les écrans empiètent sur le temps de sommeil (si important dans la réussite scolaire), nuisent à la concentration des élèves, et diminuent leur capacité à reconnaître les émotions des autres. Une étude menée en 2014 par deux universités californiennes a montré qu’un groupe d’élève passant 5 jours sans écrans en camp de nature, reconnaissait ensuite mieux les émotions non verbales sur des visages, que le groupe contrôle resté dans son environnement scolaire connecté habituel. Cette école numérique présentée comme un moyen de lutter contre les inégalités, risque donc de les renforcer, étant donné que l'on accentue les effets des écrans sur des enfants déjà ultra connectés. 

Andreas Schleicher : On sait que les nouvelles technologies de l’information et de la communication (TIC) peuvent être des formidables outils pour améliorer les pratiques d’enseignement, pour les individualiser, pour étendre et approfondir le temps passé à apprendre, et en support des pratiques d’apprentissage co-opératif. Toutes ces pratiques ont fait leurs preuves. Mais en réalité, aujourd’hui, il n’y a pas d’exemple de pays qui ait réussi, en introduisant les TIC, à améliorer les apprentissages des élèves. L’utilisation qui en est faite est souvent sous-optimale, et les distractions possibles sans doute trop nombreuses pour que l’apprentissage des élèves en bénéficie.

Alain Sotto : Mon inquiétude est grande de voir cette nouvelle innovation rejoindre, dans les placards de l’Education Nationale, les autres écrans comme le téléviseur de la télévision scolaire ou l’ancêtre des tablettes, le TO 7 de Thomson. Ce que laisse entendre le rapport de l’OCDE, c’est qu’il est inutile d’introduire une nouvelle technologie censée motiver les élèves, sans que ceux-ci ne maîtrisent la compréhension de l’écrit sur le support classique du papier. La lecture sur écran est plus lente, donc favorisant la distraction, moins souple également car on ne peut pas feuilleter et appréhender la surface totale d’un document.

De plus, un élève devant un écran n’a qu’un seul désir et une seule motivation : regarder des images sur Youtube ou sur ses réseaux sociaux. Ce qui est pour lui un objet de plaisir et d’excitation doit devenir en classe un outil d’apprentissage. Les tablettes des élèves reliées à l’ordinateur de l’enseignant offrent une interaction intéressante car il peut visualiser instantanément les résultats de la classe entière dans le cadre d’un exercice, par exemple.

Une utilisation "modérée" des écrans en milieu scolaire ne peut-elle tout de même pas être bénéfique ? 

Karine Mauvilly : Il est vrai que des outils numériques peuvent s'avérer utiles pour des élèves avec des difficultés d'apprentissage, comme les élèves malvoyants ou malentendants. Mais la grande majorité des élèves n'ont pas ces difficultés.

Le plan Hollande pour l’école numérique est un plan de numérisation individuelle des élèves aux sens normaux, pas un projet d’aide aux élèves handicapés, ni de meilleur usage des salles informatiques collectives. Il s'agit, à terme, de fournir une tablette à chaque élève même s'il n'a pas de difficultés d'apprentissage. C’est comme vouloir mettre un plâtre à tous les enfants, même à ceux qui n’ont pas la jambe cassée. Notre proposition est donc celle de l’école sans écrans, jusqu’à 15 ans. 

Andreas Schleicher : Ce qui est efficace sans les TIC, peut être rendu plus efficace encore avec les TIC, à condition que les enseignants en maîtrisent la bonne utilisation à des fins pédagogiques. Un exemple vient de la formation initiale et continue des enseignants. Les TIC permettent de généraliser les pratiques de formation en situation, de faire des aller-retours entre théorie (par exemple par des cours à distance, ou un tutorat à distance) et pratique, de partager l’expérience avec d’autres collègues, de mettre en lien des enseignants experts et moins experts, de montrer des pratique exemplaires (je pense par exemple au site de l’IFE néopass@ction, http://neo.ens-lyon.fr/neo). Or on sait que la participation à des cours, séminaires, réunions, est très peu efficace pour changer les pratiques des enseignants, parce qu’elle est trop déconnecté de la pratique quotidienne et ne répond que mal aux besoins spécifiques de chacun.

Alain Sotto : Soit la tablette est utilisée comme un écran de projection permettant de voir des documentaires ou des films, mais dans ce cas le tableau numérique est le plus adapté, soit elle est utilisée pour faire des recherches de plus en plus complexes par mots clés sur internet. Là, l’enseignant doit transmettre des techniques qui incitent l’élève à un véritable travail de réflexion. Faire des liens, comparer et analyser les différentes sources d’une information, apprendre à lire une image, apprendre à rédiger et à mettre en page des textes, sont des activités bénéfiques mais qui supposent un très bon niveau de lecture/compréhension. Cependant, le travail sur ordinateur implique concentration, calme et silence ce qui est loin d’être l’ambiance actuelle des classes.

Ordinateur ou smartphone, français ou mathématiques, sixième ou troisième... Faut-il limiter l'utilisation des écrans en milieu scolaire à certains âges, matières ou encore types de supports numériques ? 

Karine Mauvilly : La proposition de ne pas introduire d'écrans avant la fin du collège nous semble en cohérence avec les propos des autorités sanitaires, comme ceux de l'OMS, de l’Anses (Agence française de sécurité sanitaire) ou du législateur français, qui, en 2016, a interdit le WIFI dans les crèches (Loi Abeille). L’OMS a classé les ondes électromagnétiques parmi les substances "cancérigènes possibles pour l’homme".

Rappelons que les ondes wifi ne sont apparues dans notre environnement qu’il y a une quinzaine d’années, une durée tout à fait insuffisante pour mesurer des impacts sanitaires. Il semble hasardeux d’y exposer les jeunes, qui n’ont pas la même physiologie que les adultes. L'école pourrait apporter un temps de repos sanitaire, au moins 30 heures par semaine loin des effets des ondes. 

L'introduction de l'apprentissage du code en primaire représente autant d'heure en moins pour l'apprentissage du français et des mathématiques. Or c'est bien la maîtrise de la langue qui va permettre de comprendre ce qui est écrit sur l'ordinateur. Le rapport Pisa 2015 ne dit pas autre chose. En revanche, à partir du lycée, on peut tout à fait imaginer l'introduction d'une vraie matière numérique qui ne concerne pas seulement "l'éducation aux médias et à l’information" (cette "EMI" introduite dans les nouveaux programmes scolaires en 2016). Une vraie discipline numérique irait au-delà de la question des médias et inclurait l’étude du macro-système technique nécessaire au fonctionnement des objets connectés (satellites, câbles sous-marins, antennes-relais, extraction des matières premières), la visite de data-center, de déchetteries où s’entassent les déchets électroniques, un peu de code, le démontage et remontage d’ordinateurs... 

Andreas Schleicher : Il ne peut y avoir de règle absolue qui vaut partout et à tout moment. Ce qui est important, c’est que derrière chaque usage il y ait une réflexion en amont sur l’utilité pédagogique de l’outil, et, idéalement, une évaluation en aval pour voir si le but a été atteint. Cela dépendra forcément de la préparation de chaque enseignant. En France, l’enquête TALIS (passée en 2013) montre que les enseignants français du collège utilisent assez rarement les TIC en classe, ou demandent aux élèves de les utiliser. Seuls un quart des enseignants le fait "souvent ". La France se situe en dessous de la moyenne, au niveau de pays comme le Portugal ou l’Italie, bien derrière les leaders qui sont l’Australie, la Nouvelle Zélande, le Danemark ou la Norvège (ou trois quart des enseignants le font). Mais il faut rappeler qu’aucun de ces derniers pays n’a connu d’amélioration notable des résultats des élèves au cours des dernières années.

Alain Sotto : Si les outils numériques pouvaient permettre de faire en classe les devoirs et les préparations aux contrôles, ce serait une petite révolution. S’ils pouvaient également initier un travail coopératif entre les élèves en utilisant la mise en réseau, on obtiendrait de meilleurs résultats. Le scénario d’avenir le plus intéressant étant celui de la classe à l’envers. Envoi par le net du cours, travail de lecture et d’acquisition à la maison puis mise en réseau par petits groupes et seulement ensuite partage en commun et explications, sous la conduite de l’enseignant. Je pense que l’utilisation de l’informatique doit être très cadrée et ne pas rajouter du temps d’écran pour des enfants qui en sont de gros consommateurs dès la sortie des classes.

Les professeurs français sont-ils actuellement formés à la bonne utilisation des écrans à l'école ? Si oui, que leur recommande-t-on ? Si non, que faudrait-il leur recommander selon vous ?

Karine Mauvilly : Si aujourd’hui ils demandent des formations au numérique, c'est parce que tous ces outils, comme l'utilisation des tablettes en cours, l’apprentissage du code aux élèves, l’usage de logiciels au quotidien (pour faire l’appel, échanger avec les parents, remplir les bulletins) leur sont peu à peu imposés. Les vendeurs de numérique ont beau jeu d’arguer de la demande de formation des enseignants, une fois le matériel imposé ! Mais la surenchère technologique ne résoudra en rien les problèmes de l’école. On n’automatise pas la fabrication des petits humains, comme celle des produits industriels ! 

Alain Sotto : Les nouvelles technologies nécessitent de revoir entièrement le scénario pédagogique et le déroulement des cours. Cela modifie la position de l’enseignant qui n’est plus maître d’une discipline mais le coordinateur de celle-ci. Cela demande une formation très importante et une organisation différente. L’enseignant va devoir passer beaucoup de temps à préparer ses séquences, nourrir le carnet de compétences et d’évaluations ainsi que tout ce qui concerne la gestion de la classe, le carnet de textes, l’appel des présents, la relation avec les parents…Beaucoup de mails et de tableaux Excel en perspective. Notons le mouvement de résistance à l’école numérique qui est en train de poindre avec des groupes et associations d’enseignants réfractaires aux écrans et à l’informatisation de l’école. Voir à ce sujet l’ "Appel de Beauchastel" qui est à l’origine de ce mouvement de contestation.

 

Propos recueillis par Thomas Gorriz

 

Source : Atlantico.fr via Contributeur anonyme

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