samedi 10 décembre 2016

Les drôles de « médiations » du médiateur de Radio France, par Sarah Bourdaire

Les drôles de « médiations » du médiateur de Radio France, par Sarah Bourdaire

Source : ACRIMED, Sarah Bourdaire, 08-09-2016

Pour prendre en compte les réactions de leurs lecteurs, spectateurs et auditeurs, nombre de médias mettent en place divers canaux d'expression, parmi lesquels « le médiateur ». Comme son nom l'indique, celui-ci est censé recueillir en toute impartialité les réactions et critiques du public, solliciter les explications des journalistes et in fine instaurer un (semblant de) dialogue avec les rédactions.

Sur les antennes de Radio France, on compte ainsi pas moins de trois « Rendez-vous » avec le médiateur, Bruno Denaes, qui intervient chaque semaine sur France Info, tous les 15 jours sur France Culture, et une fois par mois sur France Inter. Un médiateur qui semble donc particulièrement sollicité – ce qui se conçoit aisément sur le service public –, mais qui semble parfois avoir une curieuse conception de sa mission.

À de multiples reprises ces derniers mois, et sur les sujets les plus divers (compteurs électriques Linky, mobilisations contre la loi travail, terrorisme, Brexit), Bruno Denaes s'est livré à une critique en règle des auditeurs eux-mêmes, évacuant de ce fait toute critique à l'égard du travail des journalistes [1].

1. Haro sur les auditeurs « irrationnels » et « complotistes »

Sur le site de Radio France, c'est en ces termes que le rôle du médiateur est résumé : « Le poste de médiateur a été créé pour offrir aux auditeurs/internautes de Radio France la possibilité de se référer à une instance impartiale ».

Une impartialité que les auditeurs de France Inter ont pu apprécier dans le « rendez-vous » du 22 avril, finement intitulée « Linky le compteur qui rend fou »… La présentation de l'émission sur le site de France interrésume bien l'état d'esprit du médiateur et des journalistes présents :

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Une présentation dont l'impartialité saute aux yeux et que Bruno Denaes reprendra mot pour mot à l'antenne :

– Sonia Devillers (s'adressant au médiateur) : « Vous vouliez pour commencer interroger Bruno Duvic avec les questions de Mélanie. »
– Bruno Denaes : « Exactement, Mélanie et puis quelques autres militants qu'on peut considérer peut-être un peu aveuglés par leur combat, qui demandent : "Comment… combien avez-vous été payé par ERDF pour faire votre émission et la promo de ce compteur ?" »

Après avoir sélectionné et mis en exergue les critiques outrancières de quelques auditeurs, les journalistes, encouragées sur cette voie par le médiateur, ramènent celles des autres à des peurs irrationnelles ou à du complotisme. Ce sont d'abord les réseaux sociaux, et singulièrement Youtube, qui sont mis en cause :

– Sonia Devillers : « Alors pour que tout le monde comprenne bien, il faut aussi savoir que derrière il y a les réseaux sociaux, qu'il y a le web, que ce sujet est devenu extrêmement épineux et qu'il y a d'autres relais d'influence que les journalistes, que les médias traditionnels, je vous propose d'écouter une youtubeuse très, très regardée. »
– Extrait sonore de la vidéo (voix de femme en pleurs) : « L'obligation a été votée d'installer pour tout le monde des compteurs Linky et il y a des gens qui essayent de prévenir que c'est hyper dangereux, ils le savent depuis le début ceux qui ont déployé tout ça. On est face à un crime contre l'humanité ».
– Sonia Devillers : « Alors, il faut bien qu'on vous précise que ceci n'est pas un sketch, ce n'est pas un numéro d'humoriste sur Youtube. Bruno Denaes, vous vouliez interroger à ce sujet Anne Brunel. »
– Bruno Denaes : « Exactement, c'est d'ailleurs Anne Brunel qui l'a découverte en quelque sorte sur Youtube. Qui est cette personne, c'est une spécialiste de Linky ? »

À ce moment de l'émission, on ne sait trop pourquoi la journaliste choisit de présenter une vidéo (outrancière) vue moins de 40 000 fois, comme l'inspiratrice des auditeurs ayant interpellé la rédaction de France inter… Puis Anne Brunel explique peu ou prou qu'elle a débusqué un complot d'auditeurs complotistes :

– Sonia Devillers : « Et des complotistes il y en a derrière ces réactions sur Linky ? »
– Anne Brunel : « […] Il y a des gens qui sont, je dirais, imprégnés d'un discours complotiste, c'est-à-dire convaincus qu'il y a quelque part, dans la société, au-dessus de ce qu'on appelle “le peuple”, donc le grand public, un certain nombre de forces maléfiques, dont les médias, disent-ils, “mainstream” je dirais, les grands médias grand public, mais aussi les grandes institutions mais aussi l'élite dirigeante des pays sont donc l'incarnation de ces pouvoirs maléfiques. Et les personnes qui sont en butte à l'institution, les personnes qui craignent les grands forces commerciales par exemple, “Big Pharma”, les grands labos pharmaceutiques, donc tous les gens qui vont être très craintifs vis à vis des médicaments, vis-à-vis de l'obligation vaccinale, vis-à-vis de la médecine classique, chimique, vont avoir cette tendance à s'imprégner d'un discours de nature complotiste parce que ça va recouper leurs propres inquiétudes. »

Après une telle série d'amalgames et de généralités, on reste coi, mais pas Bruno Denaes qui estime visiblement sa mission de médiation accomplie et préfère analyser, sans doute en sa qualité d'expert ès « gens », cette tendance généralisée au complotisme : « Se faire peur, on a l'impression que les gens adorent ça ». Oui, car « les gens », renchérit Anne Brunel, « adorent trouver des réponses qui correspondent à ce qui les convainc déjà ».

Quoi que l'on pense de la cause et des arguments des opposants au compteur Linky et des protestations qu'ils ont émises à la suite des émissions de France Inter, on peut se demander si c'est bien le rôle d'un médiateur, qui devrait être un facilitateur de dialogue, d'exposer de la sorte ses parti-pris en faveur du travail de ses collègues, et surtout de disqualifier en bloc et par tous les moyens, voire de tourner en ridicule les auditeurs qui s'adressent à lui.

Une manière de procéder d'autant plus contestable que Bruno Denaes semble coutumier du fait, puisqu'il récidive dès lors que les interpellations se font un peu trop critiques à son goût.

 

2. Les « oreilles militantes » des auditeurs, le travail irréprochable des journalistes

Voici comment il introduit l'émission de France Info du 7 mai sur France Info : « Alors beaucoup de réactions en effet, et de questions liées à l'actualité sociale, des réactions, il faut quand même le préciser, souvent partisanes. Je le constate d'ailleurs régulièrement, beaucoup d'auditeurs ont tendance parfois à écouter avec des oreilles un peu militantes. »

Puis un peu plus loin dans l'émission, alors que Grégory Philipps, directeur adjoint de la rédaction de France Info, met en cause la bonne foi des auditeurs, comme cela semble être une habitude dans les émissions du médiateur, Bruno Denaes le coupe pour surenchérir :

– Grégory Phillips : « Je pense que ce qui est intéressant dans cette période c'est qu'on est dans une période de crispation, on le voit bien, de la société française, et j'ai envie de dire que les auditeurs entendent un petit peu ce qu'ils ont envie d'entendre, et que comme vous le disiez tout à l'heure, Bruno, selon… [il est interrompu] »
– Bruno Denaes : « Oui moi je le constate aussi en effet en tant que médiateur. »

Cette critique de la partialité des auditeurs semble même être un élément récurrent des émissions du médiateur. Elle s'accompagne logiquement d'une disqualification systématique des critiques émises, de rappels laudateurs de l'exemplarité du travail des journalistes de Radio France, ainsi que de la nécessité du médiateur… Sur bien des sujets, le procédé est similaire.

Ainsi, le 18 juin, sur France Info, le « Rendez-vous du médiateur » est censé porter sur les réactions des auditeurs au traitement des récents attentats. Ce jour là, Grégory Philipps aura moins de 3 min pour s'expliquer sur les remarques envoyées par les auditeurs avant que Bruno Denaes n'intervienne pour relativiser aussitôt leur portée critique, et surtout réorienter la discussion vers un tout autre terrain : l'excellence de France Info !

Bruno Denaes : « Alors, précisons que bien souvent dans les réactions, bien souvent ce sont des gens qui sont très, très sensibilisés ou militants à certaines causes. Parlons aussi maintenant de l'organisation à France Info. Alors, les auditeurs se sont félicités de la réactivité de votre antenne. Alors, vous avez commencé déjà à en parler un petit peu, comment ça s'est passé dimanche et comment vous avez réagi ? »

S'ensuit une explication de l'organisation de France Info qui ne répond en rien aux remarques des auditeurs, mais qui occupera tout le reste de l'émission, permettant à Bruno Denaes et Gregory Philipps, qui ne veut pourtant pas « lancer des fleurs [aux] équipes » de la chaîne, d'insister sur la « prudence », la « responsabilité » et la « réactivité » dont elles auraient fait preuve.

Une médiation exemplaire que Bruno Denaes réitérera le 2 juillet lors d'un autre « Rendez-vous », consacré cette fois au traitement du « Brexit » par France Info. Là encore, le médiateur introduit les critiques des auditeurs avec un sens de la contextualisation qui n'appartient qu'à lui :

Bruno Denaes : « Alors, soyons précis pour commencer, ce sont des auditeurs parmi les plus anti-européens qui nous ont principalement écrit. À les lire, France Info n'aurait diffusé que des opposants au retrait du Royaume-Uni. Alors que répondez-vous Isabelle [Labeyrie], vous qui étiez d'ailleurs à Londres au moment du vote ? »

Une impartialité manifeste que confirmera la suite de l'émission, Bruno Denaes appuyant sans retenue les proclamations de vertu des deux journalistes, quand il ne donne pas, simplement, son avis sur la question :

– Edwige Coupez : « Et tout cela sans parti pris de votre part ou des journalistes qui étaient sur le terrain ? »
– Isabelle Labeyrie : « C'est le travail d'un journal que de ne pas prendre parti, mais de refléter ce qu'il entend et ce qu'il voit sur le terrain. »
– Bruno Denaes : « Et je confirme parce qu'en effet j'ai entendu tous ces reportages ; alors, on reproche aussi, concernant les invités français sur l'antenne : “Vous n'avez choisi que des politiques ou des spécialistes pro-européens”, nous dit Gaël. Alors je pense qu'hormis le Front National, la plupart d'ailleurs des hommes politiques français sont plutôt pro-européens [sic]. »
[…]
– Bruno Denaes : « Alors plusieurs auditeurs s'attaquent également à la présentation des conséquences du Brexit. “Vous n'avez présenté que les aspects négatifs et non les bienfaits”, écrit Jean. Alors, en étant peut-être un peu provocateur, il y a des bienfaits ? [re-sic] »

Sans doute cette dernière remarque rassurera-t-elle les auditeurs à l'origine de ces accusations de parti-pris…

***
Dans ces émissions, la mise de côté et le dénigrement de la critique des auditeurs est toujours solidaire d'une idéalisation du travail journalistique qui fait de toute critique, fut-elle constructive, une attaque contre la profession elle-même. Une idéalisation qui veut que les journalistes, parce qu'ils ne font que « relate[r] des faits ou les explique[r] », fassent preuve d'une relative objectivité ou impartialité. Pointer des biais dans le traitement de l'information est dès lors insupportable ou inaudible en ce que cela risque de mettre au jour l'écart (souvent béant) entre cette mythologie qui est aussi une idéologie professionnelle et la réalité du travail de journaliste, mais aussi et surtout, les véritables causes de cet écart.
Finalement, cette attitude du médiateur face aux interpellations des auditeurs rejoint le constat fait à de maintes occasions par Acrimed : la critique des médias n'est tolérée dans les médias dominants – Bruno Duvic ne reconnaît-il pas qu'« il est toujours bon d'avoir un regard critique sur son travail quand on est journaliste » ? –, que lorsqu'elle provient de l'intérieur du système médiatique, c'est-à-dire lorsqu'elle est, par définition, préalablement contrôlée et neutralisée. Et peut-être est-ce là le véritable rôle du médiateur ?
Sarah Bourdaire

Source : ACRIMED, Sarah Bourdaire, 08-09-2016

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Le médiateur de Radio France répond à Acrimed : mépris, condescendance et autosatisfaction

Source : ACRIMED, Blaise Magnin, 26-09-2016

l y a quelques semaines, nous publiions un article intitulé « Les drôles de "médiations" du médiateur de Radio France », dans lequel nous pointions le manque d'impartialité récurrent de Bruno Denaes qui, à au moins quatre reprises au cours des derniers mois, s'est appliqué à éluder voire à discréditer les remarques des auditeurs, préférant prendre le parti des journalistes mis en cause ou leur opposer ses propres opinions.

Notre article n'a pas échappé et a visiblement déplu à Bruno Denaes qui a entrepris de nous répondre dans un long billet mis en ligne sur le site de Radio France. Une réponse exemplaire des procédés mis en œuvre par Bruno Denaes dans ses « médiations » lorsque les critiques des auditeurs heurtent trop frontalement ses convictions.

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Mépris et condescendance

Avec pour commencer une bonne dose de mépris et de condescendance à l'endroit d'Acrimed et de l'auteure de l'article. Ainsi, Bruno Denaes, qui se dit « attaqué par un site qui se veut "observatoire des médias"  », ne daigne pas même citer Acrimed, ni renvoyer vers notre site – craignant peut-être que les internautes trop curieux préfèrent notre critique des médias à sa pédagogie molle et autosatisfaite. Le médiateur de Radio France croit bon d'ajouter que notre « attaque » aurait été, perfidie suprême, « relayé[e] par le réseau Twitter » – réseau sur lequel, effectivement, Acrimed est activement suivi par un nombre notoirement plus conséquent d'internautes que… le médiateur de Radio France, par exemple !

Il se contente ensuite de mentionner « un article publié sur internet », tout en omettant soigneusement – deux précautions valent mieux qu'une – d'insérer le lien qui renverrait à l'article en question, évitant que le lecteur qui aurait souhaité se faire une idée de son contenu par lui-même puisse le consulter trop aisément [1]. Des procédés plus que douteux et un brin mesquins pour un journaliste qui, deux lignes plus loin, se targue de s'appuyer « sur son expérience, sur les principes d'éthique et de déontologie ». Mais ce n'est pas tout.

Bruno Denaes évoque succinctement le contenu de ce mystérieux article : « Un article totalement à charge se fondant sur trois exemples précis ». On s'attendrait donc à ce que le médiateur de Radio France revienne en détail sur chacun de ces trois exemples et démontre en quoi nos critiques sont « totalement à charge ». Pourtant, de ces trois exemples il ne sera quasiment jamais question dans la suite de l'article.

Autosatisfaction

On appréciera d'abord la morgue avec laquelle Bruno Denaes introduit son premier point : « Revenons tout d'abord sur le rôle du médiateur que j'aurais été heureux d'expliquer à l'auteure de l'article me mettant en cause. » On ne voit pas bien en quoi ces explications seraient nécessaires, puisque notre critique ne portait en aucun cas sur le « rôle » du médiateur, difficilement contestable en lui-même, mais bien sur la façon dont Bruno Denaes l'incarne. Un contresens entrainant un hors sujet, voilà qui pourrait prêter à sourire sous la plume d'un journaliste qui affiche volontiers des postures professorales…

Après une fastidieuse typologie des remarques qu'il reçoit et des réponses qu'il y apporte, Bruno Denaes se lance dans un nouvel exercice de pédagogie qu'il intitule : « Expliquer nos fonctionnements ». En guise d'explications, deux paragraphes de mise en cause des auditeurs et de leurs critiques « infondées ou militantes ou liées à une méconnaissance de nos fonctionnements ». S'il revient bien sur l'émission consacrée aux compteurs Linky, que nous critiquions dans notre article, c'est pour ne pas en démordre : ces compteurs sont inoffensifs, les remarques des auditeurs nulles et non avenues. Ce faisant, il ne répond en rien à notre critique qui ne consistait évidemment pas à prendre position dans cette controverse scientifico-technique, mais à regretter que le médiateur ait presque constamment cherché à tourner en ridicule les auditeurs qui l'avaient contacté [2].

Pour le reste, Bruno Denaes persiste et signe, se contentant d'une position de principe, sans revenir sur les émissions auxquelles nous nous référions précisément (sur le terrorisme, le mouvement social ou le Brexit) : selon lui, les auditeurs ont des « oreilles militantes », « nous écoutons la plupart du temps avec le prisme de nos opinions, en manquant singulièrement d'objectivité et de recul. Et c'est aussi le rôle du médiateur de le rappeler », comme de rappeler que « les antennes recherchent en permanence un équilibre ». En résumé, les auditeurs seraient consubstantiellement aveuglés par leur partialité, les journalistes et les rédactions seraient par essence impartiaux et objectifs, et le rôle du médiateur serait de rappeler ces vérités simples et incontestables aux premiers. Une bien étrange conception du public, du journalisme et de la « médiation ». Et Bruno Denaes de conclure en célébrant, en toute modestie, « le travail méticuleux et acharné du médiateur ».

***
Dans cette réponse comme dans les émissions que nous critiquions, le médiateur de Radio France semble confondre médiation et autojustification, explication et plaidoyer pro domo, neutralité et parti-pris, tout en esquivant les remarques les mieux étayées. Bref, une médiation, même « méticuleuse et acharnée », ne suffirait sans doute pas pour dénouer les désaccords entre Bruno Denaes et Acrimed !
Blaise Magnin

Source : ACRIMED, Blaise Magnin, 26-09-2016

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