samedi 7 janvier 2017

Les deux réponses de Arnaud Montebourg et de Benoit Hamon à Gérard Filoche

Les deux réponses de Arnaud Montebourg et de Benoit Hamon à Gérard Filoche

Le courrier initial de Gérard Filoche est ici : Cher Arnaud, Cher Benoît,

Cher Gérard,

 

J’ai bien pris connaissance de ton courrier du 30 décembre. Tu y formules, avec la force et la sincérité des convictions qui te caractérisent depuis toujours, ta volonté intacte et celle de tes amis de Démocratie & Socialisme de continuer à mener votre combat pour sanctionner le bilan du quinquennat incarné aujourd’hui par Manuel Valls, faire réussir les primaires et faire gagner la gauche socialiste.

« La gauche pour repartir et regagner une confiance de masse ne peut faire autrement que de rompre avec cet échec de 5 ans, qui nous a fait perdre 5 élections, qui a produit 1,3 million de chômeurs de plus, qui a donné 41 milliards de CICE au patronat au lieu d’aider l’emploi direct, une austérité qui a cassé la relance, et brisé 100 ans de droit du travail », écris-tu en introduction de ce courrier. Je souscris évidemment et pleinement à ce constat lucide qui a été à la base même de mon retour dans le combat politique et de mon propre engagement dans cette primaire.

J’approuve également la vision stratégique selon laquelle « la reconquête de notre électorat passe forcément par une bataille pour l’unité de la gauche » qui ne peut évidemment être incarnée par ceux qui n’ont eu de cesse de la fracturer.

J’ajoute que des points majeurs du projet que tu souhaitais présenter à nos concitoyens figure dans mon propre projet : l’encadrement des rémunérations des dirigeants d’entreprises, la réforme fiscale, la réforme bancaire, la transition écologique, la marche vers une République nouvelle.

Nous avions, du reste, déjà fait le constat de ces multiples convergences lors de notre précédente rencontre.

Face à l’urgence de la situation politique, face à l’enjeu historique qui n’est autre que celui de la survie même dans le paysage politique français d’une gauche socialiste telle que nous l’avons toujours conçue, j’ai tendance à penser que ces convergences sont suffisamment décisives pour que nous unissions en effet et sans tarder nos forces.

J’apporte néanmoins les précisions que tu as légitimement souhaitées sur certains aspects de mon programme :

- sur la hausse des salaires. Je partage l’idée qu’une société du travail doit être organisée autour de la juste rémunération de celui-ci. L’oubli du salariat et plus généralement des couches populaires et moyennes qui travaillent mais peinent à tirer les fruits de leur travail est, depuis trop longtemps, une des négligences majeures de la gauche à l’origine de nombre de ses déconvenues.

Je mets donc la question du pouvoir d’achat - qui a reculé en moyenne de 350 € par ménages depuis 2010 - au cœur de mon projet économique. Je suis en outre convaincu que cette relance du pouvoir d’achat est une des clés du redémarrage de l’économie française. Je propose donc de récupérer 10 mds € dans les montants alloués au CICE pour baisser la CSG en dessous de 2000 € brut par mois et augmenter ainsi de façon immédiate et significative le salaire net (1200 € par an pour un smic). Je propose également d’indexer selon une négociation sociale, qui se triendra branche par branche, l’évolution des salaires sur les gains de productivité réalisés dans l’entreprise. Il n’y a aucune raison que les seuls dividendes et la rémunération du capital captent exclusivement les efforts réalisés par l’ensemble de la communauté des salariés de l’entreprise.

J’attaquerai également cette question du pouvoir d’achat par l’extension de la solidarité : je propose notamment la création d’une mutuelle publique à 10 € par mois pour les personnes ayant des trop petits revenus, et qui n’accèdent pas néanmoins à la CMU.

En ce qui concerne spécifiquement la hausse du Smic, qui suscite immédiatement des débats sur la concurrence par les prix, si l’augmentation raisonnable des salaires au plan national me paraît une nécessité, je suis favorable à porter d’emblée le combat au niveau européen. Les Espagnols viennent d’adopter une loi d’augmentation des salaires de 8%, les Allemands ont fait une hausse de 5% dans l’industrie (et dans la fonction publique) : dans le cadre du nouveau Traité de Rome que la France proposera, je proposerai un sommet social européen pour traiter cette question de la revalorisation concertée des salaires des travailleurs européens dans tous les pays européens, afin d’enrayer la spirale de la concurrence à la baisse des salaires dans toute l’Union. La fin - unilatérale s’il le faut - de la directive « travailleurs détachés » qui a (scandaleusement) institué le dumping social à domicile, s’inscrit dans ce cadre exigeant. Cela n’empêchera pas de décider unilatéralement des hausses du Smic français, en lien avec le retour de la croissance et des carnets de commandes que notre politique macroéconomique active produira. J’ajoute que je demanderai au Parlement de voter une loi encadrant les rémunérations des dirigeants d’entreprises cotées, en obligeant tout dirigeant de grande entreprise qui s’augmentant de 5%, ou s’octroyant des parts variables devra accorder la même augmentation à ses salariés, et la même part variable.

- sur la loi El Khomri, qui institue « le travailler plus pour gagner moins », ma réponse est claire : elle doit être purement et simplement abrogée et remplacée par une vraie loi de progrès, combattant la précarisation (pénalisation financière du recours aux CDD) et organisant la protection des travailleurs des plate-formes numériques.

J’ajoute que plutôt que le revenu universel, proposition irréaliste qui me paraît témoigner en outre d’une acceptation fataliste du chômage de masse, j’entends instaurer une véritable sécurité professionnelle, donnant à tout chômeur des droits réels à l’insertion et la formation. Je propose la société des 3 contrats, afin d’éradiquer le chômage de masse, rappelant que le plein emploi est l’état normal d’une économie : soit une personne dispose d’un contrat de travail, soit à défaut il lui sera proposé un contrat de formation professionnelle d’une durée d’un an ou 18 mois afin d’apprendre un nouveau métier, soit en cas de chômage de longue durée, il pourra lui être proposé un contrat d’activité à durée déterminée (proposition ATD Quart Monde) solvabilisant par les dépenses d’aide aux chômeurs des métiers que le marché ne permet pas de rémunérer, notamment dans l’économie du partage qui connaît un engouement précieux sur le terrain.

- sur le rassemblement de la gauche, il est clair enfin qu’au lendemain d’une victoire à la primaire, je me tournerai vers nos alliés communistes et écologistes pour les interpeller sur la nécessité de mettre fin à une dispersion, dangereuse, improductive et suicidaire.

Si la ligne alternative que nous incarnons l’emporte, les difficultés politiques et idéologiques qui faisaient obstacle à ce rassemblement seront levées, tant pour les présidentielles que pour les législatives.

Convaincu que le succès et le renouveau de la gauche passe par le retour de l’élaboration collective, je serai d’ailleurs prêt moi-même à réouvrir la discussion programmatique en ce sens.

Te remerciant encore pour ta démarche et tes combats, je reste, cher Gérard, à ta disposition pour approfondir cette discussion et t’assure à mon tour de mon amitié socialiste et personnelle.

Arnaud Montebourg, le 3 janvier 2017

 


Cher Gérard,

 

Je te remercie de ton courrier dont j’ai pris connaissance avec une grande attention. Je souhaite te présenter ici les orientations stratégiques pour la gauche et pour le pays que je vais défendre dans le cadre de cette primaire citoyenne de la gauche des 22 et 29 janvier.

Face au projet ultralibéral et conservateur de François Fillon nous devons donc por ter un projet résolument de gauche et ambitieux. Cela devra passer par une refonte complète de notre protection sociale. Face à la raréfaction du travail, au chômage de masse, à la crise du salariat, notre protection sociale est fragilisée. Après l’instauration de la sécurité sociale en 1945, il nous faut penser la protection sociale du XXIe siècle. Cette révolution de la protection sociale que j’appelle de mes vœux a un nom : le revenu universel. Il s’agit du versement mensuel de 750 euros à tous les Français majeurs en complément de leur salaire, de leur chômage ou de leur retraite, pour que chacun soit protégé de la pauvreté, qu’il ait du travail ou en soit privé. Ainsi protégé du risque d’exclusion, chacun pourra en conscience choisir de renoncer à toute ou partie de son activité professionnelle, allonger la durée de ses études, reprendre une formation, s’engager bénévolement, créer sa propre activité, ou tout simplement bénéficier de davantage de temps pour s’investir dans sa vie personnelle et familiale.

Si nous ne pensons pas le monde qui change, nos enfants en subiront les conséquences. Il est impératif de penser et d’anticiper les mutations que nous connaissons et qui ne cesseront de se renforcer, notamment celles qui bouleversent le monde du travail. Aujourd’hui, en France, certains souffrent de ne pas avoir de travail, d’autres d’être surmenés, tandis que quelques-uns qui s’y plaisent font des lois Travail pour tous les autres.

Quand la gauche oublie la question sociale, elle s’oublie. Et, c’est parce que ce quinquennat a mis la question sociale de côté que, consultations électorales après consultations électorales, les Françaises et les Français nous ont tourné le dos. Renouer avec les salariés, la jeunesse, les retraités est ma première priorité. C’est pourquoi une des premières mesures que je prendrai si je suis élu Président de la République sera de demander au gouvernement de déposer un projet de loi et d’abroger la loi travail faisant ainsi écho à la mobilisation des salariés et de leurs organisations syndicales que nous avions relayée en son temps à l’Assemblée Nationale. Elu Président, je procéderai également sans attendre à une revalorisation substantielle du SMIC, de tous les minima sociaux et du point d’indice de la fonction publique.

L’écrasante majorité des salariés n’ont choisi ni leur emploi, ni leur rémunération. Pour une part sans cesse croissante d’entre eux les conditions concrètes d’exercice de leur activité salariée se sont profondément dégradées. C’est pourquoi j’entends faire de la lutte contre la souffrance au travail un des axes majeurs de mon projet social. A ce titre, entre autres, le burn out devra être reconnu comme une maladie professionnelle. Ce n’est pas l’inspecteur du travail combattif que tu fus qui me démentira sur ce point. J’entends également que les lois et les règlements qui protègent les salariés dans leurs conditions d’hygiène et de sécurité soient respectées. Les moyens et les prérogatives de l’inspection du travail seront réévaluées. Le droit du salarié ne saurait être un mot creux.

La centralité de la question sociale doit aller de pair avec la nécessité d’organiser la transition écologique de notre appareil de production. Produire oui, produire en France aussi quand c’est possible, mais surtout produire quoi et comment ? Nos grands anciens disaient à juste titre que le capitalisme oppressait l’homme et la nature. Si, comme moi, l’on partage ce constat alors on ne peut pas faire de l’accroissement sans de la production de la marchandise l’horizon indépassable de la gauche. A trop se préoccuper de la seule valeur d’échange des marchandises on en vient à oublier de questionner leur valeur d’usage. J’assume donc vouloir ouvrir en grand le débat sur le dépassement du productivisme. Je l’ai dit : je ne serai plus jamais socialiste sans être écologiste. Je ne suis pas décroissant mais je rejette la croissance telle qu’on la conçoit aujourd’hui. Disons-le simplement : il était faux et absurde de penser que le seul fait de produire et de consommer davantage suffirait à apporter à tous le bonheur et la joie. Le problème ici, comme souvent, c’est notre incapacité à penser au-delà d’une opposition binaire. Non, je ne suis pas décroissant mais oui, j’affirme que notre course au productivisme au prix de notre planète est un non-sens.

Je veux dénoncer cette stratégie des grands lobbies industriels qui consiste à fabriquer du doute. Ils nous disent «le réchauffement climatique n’existe pas», «à vouloir protéger l’environnement vous allez faire perdre de la compétitivité aux entreprises françaises et détruire des emplois», «les perturbateurs endocriniens ne sont pas dangereux». Combien de temps allons-nous laisser ces lobbies dicter notre conduite ? Combien de temps allons-nous renoncer à poser des limites au marché quand c’est nécessaire pour protéger notre environnement et notre santé ?

Parce que nous savons l’impact très néfaste des pesticides et des perturbateurs endocriniens sur notre santé, j’interdirai tous les produits qui comportent un risque réel de dangerosité. Nous ne pouvons pas prendre le risque de nous retrouver demain face à des scandales sanitaires d’une gravité insoupçonnée parce que nous aurions choisi de céder aux lobbies privés. La fabrique du doute n’est rien d’autre qu’une tromperie qui veut nous détourner de l’intérêt général.

Je ferai sortir la France du diesel à l’horizon 2025 pour lutter contre la pollution de l’air, responsable de la mort de 49.000 Français (.e.s) chaque année. Je mettrai fin à l’avantage social accordé au diesel, je ferai installer des bornes de recharge électrique sur tout le territoire et je lancerai la recherche sur l’autonomie des batteries pour voiture électrique.

C’est aussi pour garantir la suprématie de l’intérêt général sur la force des lobbies que je constitutionnaliserai les biens communs. Nous devons aller aujourd’hui au-delà du principe de précaution. Les droits à boire une eau pure et à respirer un air pur doivent être inscrits et protégés dans la Constitution. Pourquoi ? Parce que demain, avec cette base juridique, nous pourrons nous tourner vers ces entreprises qui exploitent à titre privé ces communs, dégagent des profits considérables mais ne font pas l’objet d’impôt spécifique. Nous pourrons poser le principe d’une fiscalité qui se concentre sur les entreprises qui aujourd’hui exploitent à titre privé les communs. Cette idée-là, je la ramène des Etats-Unis lors ma rencontre avec Bernie Sanders en septembre dernier, où se posent les mêmes questions. Alors oui, constitutionnalisons les communs.

En fait, notre démocratie est à réinventer. Notre démocratie est malade, fébrile et verrouillée. Nous l’avons laissée devenir intermittente. A la confiance des citoyens en leur Constitution et à la vigueur des débats politiques se sont substitués, progressivement, la lassitude et le rejet d’un système qui se protège lui-même et qui ne donne plus la parole au peuple. On prie les citoyens de devenir des consommateurs de démocratie, de mettre leur bulletin dans l’urne, de faire acte de présence, puis de se taire pendant cinq ans. Nous les avons délibérément écartés des choix qui les concernent, considérant que le peuple était trop instable et trop inculte pour décider.

Il nous faut passer à une VIe République. Mes propositions sont nombreuses et la tâche reviendra aux Français de décider pour leurs institutions. Je n’en citerai ici que quelques-unes.

Je commencerai par reconnaître le vote blanc pour ce qu’il est : un geste civique. Si la somme des votes blancs et des abstentions atteint la majorité absolue (50%), l’élection doit être annulée et un nouveau scrutin doit être programmé.

Réintégrer les citoyens exclus de la démocratie, c’est aussi reconnaître le droit de vote aux élections locales pour les étrangers.

J’inscrirai également immédiatement dans la Constitution le 49.3 citoyen, un pouvoir réel, concret, qui mettra la démocratie intermittente. Il permettra aux citoyens d’imposer au Parlement d’examiner une proposition de loi proposée par les citoyens ou de suspendre l’application d’une loi adoptée par le Parlement pour que celle-ci soit soumise à référendum.

Enfin, je donnerai le pouvoir aux citoyens d’écrire la loi de manière collaborative par l’écriture d’“amendements citoyens” sur le modèle du projet de loi pour une République numérique.

C’est à ces conditions que nous pourrons créer une dynamique populaire et citoyenne de nature à favoriser le rassemblement de la gauche.

J’assume et je me réjouis que mon projet comporte de nombreuses passerelles avec le programme d’autres candidats de gauche qui n’ont pas à ce stade souhaité participer à la primaire citoyenne.

Oui je pense que le chemin du rassemblement de la gauche est le seul à même d’éviter la confrontation mortifère que tous les commentateurs politiques annoncent entre François Fillon et Marine Le Pen. Oui, il ne tient qu’à nous de faire échouer cette chronique d’un naufrage annoncé. Oui, la gauche a rendez-vous avec son histoire. Je connais tes engagements, sache que ma candidature s’inscrit dans cet objectif de rassemblement, de clarté et d’ambition pour la gauche et notre pays.

Amitiés socialistes

Benoit Hamon

Tour Montparnasse
33 avenue du Maine, 75015 Paris

 

Source : Filoche.net

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