mercredi 8 mars 2017

Un élu : « Mon assistante a épousé mon fils, je n'allais pas la virer pour ça »

Un élu : « Mon assistante a épousé mon fils, je n'allais pas la virer pour ça »

En 2014, 115 députés rémunéraient un proche sur l’enveloppe dédiée aux collaborateurs parlementaires. Au Sénat, les mœurs ne sont guère plus vertueuses. Dans le sillage de l'affaire Fillon, petites histoires de PME familiales en politique. 

Les polémiques actuelles, Jean-François Mancel, le député LR de l’Oise, s’en soucie comme d’une guigne. Ce vieux briscard du Palais-Bourbon, où il a siégé pour la première fois en 1978, n’en démord pas : "Je suis un grand défenseur des emplois familiaux", nous explique-t-il au téléphone.

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Un grand défenseur qui se double d’un pratiquant zélé. Sur sa déclaration d’intérêts et d’activités datée de juillet 2014, le député indiquait employer sa femme, son fils et sa fille comme collaborateurs parlementaires. Cette dernière aurait alors été la seule à être rémunérée. Seule curiosité : au même moment, la jeune femme qui entamait une carrière de comédienne était à l’affiche d’une pièce dans un théâtre parisien. "Elle n’était que comédienne amateur, une voie qu’elle a depuis abandonnée. Elle a bel et bien travaillé pour moi", se défend le député.

Aujourd’hui, la jeune femme aurait été remplacée par sa mère, Brigitte Mancel, désormais rémunérée. Le politique explique :

"Je l’ai connue quand elle collait des affiches pour moi."

"Elle est l’ancienne responsable communication du groupe Alain Afflelou. Elle a les compétences et le réseau. On travaille en confiance totale. Elle peut me dire des choses que peu de gens oserait me dire."

En décembre dernier, Brigitte Mancel a été nommée au conseil d’administration de Cybergun, une société spécialisée dans le tir de loisir : "Elle apportera sa connaissance en matières de relations parlementaires et politiques", se réjouit le communiqué… Etrange mélange des genres.

Près d'un député sur cinq

C’est bien connu : la politique est souvent une affaire de famille. Une expression qu’il faut entendre dans tous les sens du terme "affaire". En juillet 2014, une enquête de Médiapart révélait que 115 députés rémunéraient une épouse, un fils ou une fille sur l’enveloppe dédiée aux collaborateurs parlementaires. Soit près d’un élu de l’Assemblée sur cinq. Il est vrai que l’exemple vient d’en haut : Véronique Bartolone, l’épouse du président de l’Assemblée Nationale, Claude Bartolone, fait partie de ses chargés de mission après avoir été son attachée parlementaire. De même, le questeur de l’Assemblée, le député PS Jean Launay, a enrôlé sa femme parmi ses assistantes.

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Le Palais du Luxembourg n’est pas forcément beaucoup plus vertueux que le Palais-Bourbon. Les emplois familiaux y sont fréquents. Et les astuces pour contourner la réglementation – plus stricte – nombreuses. La femme d’un sénateur UDI de Loire-Atlantique, collaboratrice de son mari et elle-même élue LR, est ainsi devenue l’attachée parlementaire d’un sénateur PS de Mayotte, tandis que l’assistant de ce dernier faisait le chemin inverse. Un échange de connaissances temporaires, ont clamé les intéressés.

L’affaire Penelope Fillon a jeté un voile de soupçon sur ces emplois familiaux. Certes, tous ne sont pas des emplois fictifs, loin de là. Mais il n’en demeure pas moins que certaines collaborations interrogent sur le temps de travail réellement consacré ou les missions effectuées.

Depuis l’entrée en vigueur de la loi sur la transparence, en 2014, plusieurs parlementaires ont soudainement cessé de travailler avec leurs conjoints. C’est le cas de Bruno Lemaire qui employait son épouse, Pauline, artiste peintre par ailleurs, comme assistante à temps plein. Dans les interviews, celle-ci affirmait pourtant à l’époque se tenir à l’écart de la politique.

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Pratiques inchangées

Fin 2014, après plusieurs polémiques sur les revenus de son couple, Jean-Christophe Lagarde, député UDI, décida d’arrêter de rémunérer sa femme, Aude, comme attachée parlementaire. Cette dernière cumulait cette fonction avec celles d’adjointe au maire de Drancy, de vice-présidente de la communauté d'agglomération de Drancy et de conseillère régionale.

Dans le sillage de l’affaire Fillon, une dizaine d’élus auraient contacté la Haute autorité pour la transparence de la vie publique pour indiquer mettre un terme à l’emploi d’un proche comme assistant. Le nom de l’épouse d’Eric Ciotti, enseignante vacataire à l’Education nationale, ne figure ainsi plus parmi la liste de ses collaborateurs.

Frère du député écologiste, Sergio Coronado, Roberto Coronado a préféré récemment démissionner de son poste. Un assistant parlementaire qui le connait bien assure :

"Ce n’était pas du tout un emploi fictif. Mais il ne voulait pas fragiliser son frère."

Polémique ou pas, d’autres parlementaires n’ont rien changé à leurs pratiques. Jean-François Copé, Nicolas Dupont-Aignan, Patrick Devedjian, Thierry Solère, Frédéric Lefebvre continuent d’employer leurs femmes. Claude Goasguen et Patrick Ollier, leurs fils. Tout comme Michèle Tabarot, dont le fiston est également vice-président de la région Paca.

Activités parallèles

Députée PS de Haute-Garonne, Martine Martinel déclare toujours son mari parmi ses collaborateurs parlementaires. Celui-ci assurerait la fonction de chauffeur en circonscription, elle-même n’ayant pas le permis. Chaque parlementaire dispose pourtant d’une enveloppe financière, pour couvrir notamment ses frais de déplacements. Sans parler des missions ponctuelles que les parlementaires confient à des proches. Telle députée PS affirme avoir embauché son fils pour un dossier sur la santé. La raison invoquée ? Il serait pharmacien. Tel autre député, socialiste lui-aussi, reconnait avoir recours à son fils, "spécialiste de l’Asie" selon lui, sans toutefois donner beaucoup de détails sur cette spécialité en question.

Un autre phénomène surprend. Dans de nombreux cas, ces assistants familiaux exercent une activité en parallèle à leur travail parlementaire. Inscrit parmi les collaborateurs de son épouse, Laure de la Raudière, la députée LR d’Eure-et-Loir, Hubert de la Raudière exerce par ailleurs la profession de sylviculteur : "Ce n’est pas une activité à temps plein et, de plus, il est libre d’organiser son temps de travail comme il le désire, au gré des exigences dictées par la nature ou en fonction de mes besoins", nous répond la députée, assurant que son mari s’occupe de son site internet, des réseaux sociaux et de rédiger mémoires et discours.

Autre cas emblématique, celui d’Ann-Katrin Jego, la femme d’Yves Jego, le député UDI de Seine-et-Marne. Une femme très active : chef de cabinet dans une mairie des Hauts-de-Seine, conseillère de Paris, patronne d’une société de communication, présidente d’une association de femmes et du comité de la Croix-Rouge de Montereau, membre du conseil d’administration de la Tour Eiffel, en plus de travailler comme collaboratrice parlementaire de son mari (le seul travail qu’elle ne revendique d’ailleurs pas sur son compte Twitter). Un agenda surchargé qui, à n’en pas douter, ne lui a pas permis de répondre à notre demande d’interview.

"Préférence familiale"

Certains députés n’hésitent pas à employer deux de leurs proches. C’est le cas de Jacques Bompard, député-maire d’Orange et patron de la très identitaire Ligue du Sud. Ce dernier a choisi d’appliquer la préférence familiale dans le choix de ses collaborateurs en recrutant ses deux fils.

Patrice-Martin Lalande, député LR du Loir-et-Cher, emploie, lui, depuis 2008 sa femme Farida et son fils Nicolas. Visé par deux plaintes pour détournement de fonds publics et ardent défenseur de François Fillon durant le Penelopegate, Marc-Philippe Daubresse, député LR du Nord, indique disposer de deux collaborateurs : sa femme, Brigitte, par ailleurs vice-présidente du département, et son beau-fils, Alexandre.

Député socialiste de la Haute-Vienne, Daniel Boisserie a un temps fait travailler sa fille, par ailleurs, attachée de presse pour la région nouvelle Aquitaine, et sa belle-fille. Il clame :

"Cette dernière était mon attachée parlementaire depuis 2003 avant d’épouser mon fils. Je n’allais pas la virer pour cela."

L'autre famille

Les parlementaires n’oublient pas non plus leur autre famille. Politique, celle-là. Selon plusieurs assistants, les allocations destinées aux collaborateurs parlementaires serviraient aussi à rémunérer ou apporter un complément de salaire à des suppléants, des permanents du parti, des élus de région... Les exemples abondent.

Selon une récente enquête des Décodeurs du "Monde", 36 députés salarient leur suppléant, dont 21 socialistes. A peine redevenu député, Manuel Valls a pris son prédécesseur et suppléant, Carlos da Silva, comme collaborateur.

Bien que nommée directrice de la communication du PS, Karine Gautreau figure toujours parmi les assistants parlementaires du premier secrétaire, Jean-Christophe Cambadélis, pour lequel elle affirme travailler quelques heures par semaine. Parmi les attachées parlementaires du député LR de l’Oise, Eric Woerth, on remarque Manöelle Martin, vice-présidente de la région des Hauts-de-France.

Plusieurs secrétaires départementaux du PS figurent également dans les listes des collaborateurs de l’Assemblée et du Sénat. Vice-présidente LR de la région Ile de France, Stéphanie Von Euw, l’ancienne femme du député Jérôme Chartier, est inscrite comme collaboratrice du député du Val d’Oise, Axel Poniatowski. Un job qu’elle cumule avec beaucoup d’autres : l’intéressée est en effet la vice-présidente de Bernard Krief Institutionnel et gère sa propre société de conseils, tout en faisant partie de la cellule riposte mise en place autour du candidat Fillon. Un cumul entre activité militante et collaboration parlementaire normalement proscrit.

Elle est loin d’être la seule à passer outre la réglementation. Les collaborateurs d’Henri Emmanuelli et de Pascal Cherki travaillent ainsi sur la campagne de Benoît Hamon. "Marianne" révélait en début de semaine que le fondateur des Jeunes avec Macron était employé à mi-temps par le député macroniste Jean-Jacques Bridey.

A droite, Florence Portelli, assistante de son père, le sénateur LR du Val d’Oise Hugues Portelli, et porte-parole de François Fillon, vient de lâcher ses fonctions au Sénat. Son père lui a aussitôt trouvé un remplaçant : son fils.

 

Vincent Monnier  

 

Source : NouvelObs.com

Informations complémentaires :

URL: https://www.crashdebug.fr/actualites-france/13334-un-elu-mon-assistante-a-epouse-mon-fils-je-n-allais-pas-la-virer-pour-ca

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