samedi 3 juin 2017

Réserve parlementaire et IRFM : la fin d'un des privilèges les plus opaques de la Ve République ?

Réserve parlementaire et IRFM : la fin d'un des privilèges les plus opaques de la Ve République ?

Avec la loi « pour la confiance dans notre vie démocratique », François Bayrou prévoit d’enterrer deux dispositifs emblématiques des privilèges des députés sous la Ve République : la réserve parlementaire, et l’indemnité représentative de frais de mandats. Les contours du nouveau système sont toutefois encore flous.

Bayrou porte cette loi de moralisation de la vie publique. - Jacques Witt/SIPA

François Bayrou n’a pas vraiment une allure de révolutionnaire, mais la Ve République joue son 4 août 1789 en miniature : cette fois-ci, ce ne sont pas les privilèges des nobles qui vont être abolis, mais une partie de ceux des pensionnaires de nos assemblées. Plus précisément, deux d’entre eux : la réserve parlementaire, et l’indemnité représentative de frais de mandats (IRFM). Mais attention : derrière les annonces, de nombreuses zones d'ombres subsistent sur la mise en œuvre des réformes... et rien ne dit que de nouveaux privilèges ne se reproduiront pas.

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La réserve parlementaire, devenue coutumière, est en fait une distribution de subventions annuelle, accordée par le gouvernement à chaque parlementaire qui l’utilise comme bon lui semble… et en général pour « arroser » d’argent public des associations ou services publics de sa circonscription. Du clientélisme financé par le contribuable, en somme. Le montant total de la réserve parlementaire atteint environ 90 millions d’euros pour l’Assemblée nationale, et environ 58 millions d’euros pour le Sénat… soit plusieurs dizaines de milliers d’euros par parlementaire (130.000€ par député en moyenne). Depuis juillet 2013, les élus sont obligés de publier l’attribution de leur réserve. Cette transparence imposée, et le travail de la presse, ont permis de dénicher quelques cas assez folkloriques.

Basket-ball, fouilles en Lybie et centre équestre

L’inénarrable député-maire LR de Levallois, Patrick Balkany, a ainsi versé l’intégralité de sa réserve de 2013 au club de basket de sa ville… Philippe Marini, sénateur LR de l’Oise, a financé la fouille archéologique de sa fille en Lybie, et le centre équestre de sa femme, avec sa réserve parlementaire. Les exemples, sont nombreux, et accablants. Dans un rapport datant de février 2015, la Cour des Comptes avait conclu que plus de 40% des réserves parlementaires versées entre 2006 et 2012 « portaient sur des dépenses inéligibles ou auraient dû appeler une instruction plus approfondie des services de l’Etat sur leur conformité ». D’autant que les députés étant élus pour un mandat national, ils n’ont pas vocation à représenter les intérêts de leur circonscription, mais l’intérêt général… On en était bien loin.

Si loin que René Dosière, député en pointe sur les questions de moralisation de la vie politique, préconisait la suppression de la réserve parlementaire. Le parlementaire a eu l’oreille de François Bayrou et Emmanuel Macron pendant l’élaboration de la loi. Il faut croire qu’il a été entendu. Mais le dispositif ne disparaît pas totalement, et sera remplacé par un « fonds d’action pour les territoires et les projets d’intérêt général » au contour encore flous. Quel sera le montant de ce fonds ? Comment sera-t-il attribué ? Sera-t-il contrôlé rigoureusement ? Aucune de ces questions ne trouve de réponse pour l'instant. Pour Hervé Lebreton, président de l’Association pour une démocratie directe (AP1DD), « la réponse va être dans la mise en œuvre des choses ». Ce pionnier de la lutte contre les dérives liées à la réserve parlementaire constate que « seul le gouvernement a le pouvoir de modifier les habitudes en pratique, en arrêtant de réserver des subventions aux parlementaires ». En effet, la coutume de la réserve parlementaire est entièrement à l'initiative de l'exécutif, qui avait pris pour habitude de donner des subsides aux représentants du pouvoir législatif. C'est du gouvernement que viendra le changement sur le front de la réserve parlementaire.

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La question de l’IRFM est autrement plus épineuse. Cette indemnité, fixée à 5840€ bruts (5372€ nets), s’ajoute à la rémunération perçue par les élus et leur permet de régler leurs frais professionnels (location d’une permanence, communication, représentation). Mais elle est très faiblement contrôlée, et là encore les dérives sont très nombreuses. Récemment, le député et candidat LREM Alain Tourret a été épinglé par Mediapart pour avoir utilisé son IRFM afin de financer un voyage dans un Club Med au Sénégal, ou de se payer des parties de golf. Ce très cher Jérôme Cahuzac a usé de son indemnité dans des hammams, ou pour s’offrir un abonnement à Canal +. Marie-Hélène Thoraval a loué un voilier dans le Var, Pascal Terrasse a financé des voyages en Egypte et en Grèce pour lui et sa famille… Bref, l’IRFM n’a fréquemment rien à voir avec l’exercice du métier de parlementaire. La Haute autorité pour la transparence de la vie publique a d’ailleurs rendu un rapport très critique sur l’utilisation de l’IRFM. Reste que les députés et sénateurs ont effectivement des frais à faire rembourser.

Notes de frais à la carte

François Bayrou a également envoyé l’IRFM aux oubliettes dans le cadre de la « loi pour la confiance dans notre vie démocratique ». A la place, un système à la carte : les députés et sénateurs devront présenter leurs factures à leurs assemblées respectives, qui décideront de rembourser ou non les frais. François Bayrou, prudent sur la séparation des pouvoirs et la nécessité d’indépendance des deux chambres, a annoncé vouloir laisser les assemblées décider de la manière dont elles contrôleraient les dépenses. Ce qui laisse planer l’incertitude sur l’avenir des frais parlementaires…

René Dosière peut encore se montrer relativement satisfait. Au micro de Public Sénat, il plaidait pour la mise en place « d’une formule de transparence et de contrôle interne à l’Assemblée », qui passait par les renforcements des moyens du déontologue de l’Assemblée nationale. Avec toutefois une nuance : René Dosière souhaitait un contrôle accru de l’utilisation de l’IRFM, pas sa suppression. Le système des notes de frais adopté ne lui paraissait « pas tout à fait satisfaisant ». Le député pointait notamment l’expérience malheureuse du Parlement anglais, victime d’un gigantesque « scandale des notes de frais » en 2009.

On ne pourra pas renouer avec la confiance sans respecter le triptyque : transparence, contrôle, sanction.

Hervé Lebreton, Président de l'Association pour une démocratie directe

Hervé Lebreton, lui salue « un pas en avant », mais s’inquiète déjà d’une possible « amnistie des parlementaires qui se sont enrichis personnellement grâce à l’IRFM ». Le militant pointe les très nombreuses dérives, qui s’apparentent pour lui à « de la prise illégale d’intérêts, dès lors qu’on sort de l’intérêt général et qu’un intérêt privé entre en ligne de compte dans l’utilisation de l’argent public ». Pour le président de l’AP1DD, les pratiques passées des parlementaires avec l’IRFM sont « inconstitutionnelles », et peuvent enclencher des procédures pénales. Et l’exemple britannique revient : « Est-ce qu’on est aussi mûrs démocratiquement que les Anglais en 2009 ? », s’interroge Hervé Lebreton. Après le scandale des notes de frais, un ménage considérable avait été effectué à Westminster : outre le remboursement des sommes perçues indûment, quatre députés ont été emprisonnés. Ce chevalier blanc de la morale politique n’en attend pas moins en France : « On ne pourra pas renouer avec la confiance si on ne respecte pas le triptyque : transparence, contrôle, sanction. » Le gouvernement n’est qu’au début d’un long chemin.

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Source : Marianne.net

Information complémentaire :

Crashdebug.fr : Livre : Du goudron et des plumes (Philippe Pascot)

URL: https://www.crashdebug.fr/actualites-france/13655-reserve-parlementaire-et-irfm-la-fin-d-un-des-privileges-les-plus-opaques-de-la-ve-republique

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